Les Chroniques chimiques Numéro 12 - Gaz sous pression – Risques et précautions

Les Chroniques chimiques Numéro 12 - Gaz sous pression – Risques et précautions

1. Introduction :

De par leur état physique, les gaz ont la capacité de se diffuser rapidement et finir par occuper tout le volume disponible. Conséquemment, pour un même type et niveau de danger (inflammabilité, toxicité, corrosivité, etc.) généralement le gaz est l’état physique qui présente le plus de risque. Les inflammables et les toxiques sont les deux types de gaz les plus fréquemment impliqués dans les accidents et blessures.

2. Produit sous pression :

Mis à part les dangers inhérents à chaque gaz (toxique, inflammable, corrosif, etc.), l’appellation de la classe de danger « Gaz sous pression » définit bien le danger supplémentaire qui s’ajoute à chacun de ces gaz, c’est-à-dire le fait que ce sont des produits sous pression.
 
Ainsi pour les bouteilles dites de haute pression, la pression à l’intérieur de ces bouteilles peut dépasser plusieurs milliers de kilo Pascals (kPa). Ce sont des bouteilles sans soudure utilisées généralement pour les produits conservés sous forme de gaz comprimés tels que l’azote, l’oxygène, l’argon, etc. À titre d’exemple, la bouteille d’argon utilisé comme gaz de protection pour le soudage de la firme Air Liquide (no de produit ARG50XPR) possède une pression interne 30 380 kPa. Pour fin de comparaison, cette pression très élevée correspond à 300 fois la pression atmosphérique (et à près de 150 fois la pression normale d’un pneu automobile). Une simple petite bouteille d’hélium de la même firme (no de produit HELBEL9EX) louée pour le gonflage des ballons possède une pression interne 14 960 kPa, soit près de 150 fois la pression atmosphérique.
 
Pour leur part, les bouteilles dites de basse pression, utilisées généralement pour les gaz conservés sous forme liquéfiée ou dissouts dans un solvant, ont tout de même une pression interne de l’ordre de quelques centaines à quelques milliers de kPa.
 
Le risque de générer des pressions très élevées est présent également pour les produits conservés sous forme  gaz liquéfiés réfrigérés (liquides cryogéniques). Tel que mentionné dans la chronique précédente, de petites quantités de liquides cryogéniques peuvent occuper un grand volume une fois vaporisé et créer ainsi des pressions très élevées si le produit est contenu dans un récipient hermétique. Ainsi, le rapport d’expansion et de volume entre l’azote liquide et l’azote gazeux est de près de 700 fois. Si l’azote liquide est placé dans un contenant fermé hermétiquement, la pression à l’intérieur du contenant risque d’augmenter d’un facteur équivalent une fois tout l’azote vaporisé.
 
Conséquemment, la valve principale de la bouteille, ainsi que le manodétendeur lorsqu’installé, sont les parties fragiles de ce type d’équipement. Ces pièces doivent être en tout temps protégées par l’installation, lorsque requis, du capuchon protecteur sur la bouteille, en fixant la bouteille solidement au mur ou au chariot de transport interne ou aux appareils avec lesquelles elles sont utilisées. Sans quoi, il y a risque de projection violente et dangereuse de la bouteille en cas de chute et/ou de bris de la valve principale. À noter que selon le type de gaz et marque commerciale, certaines bouteilles sont fournies équipées d’un capuchon permettant le raccord aux équipements sans enlever le capuchon.

De même, si la valve principale d’une bouteille (que vous venez de recevoir ou en stock) est difficile à ouvrir, il est recommandé de retourner la bouteille au fournisseur (en s’assurant que la valve est bien fermée, mais sans la forcer) et en lui demandant de vous expédier une nouvelle bouteille. On ne doit jamais forcer la valve principale d’une bouteille. Voici une petite anecdote familiale illustrant ce propos.
Un de mes oncles sort de son cabanon en début de printemps son poêle barbecue au propane et l’installe sur la terrasse adjacente à son chalet. La valve de la bouteille de propane étant difficile à ouvrir, mon oncle force celle-ci et finit par l’ouvrir. Il allume son poêle et une quinzaine de minutes plus tard il commence à entendre un sifflement. Par précaution, il éteint le poêle et force à nouveau pour fermer la valve de la bouteille. La valve brise et lui reste dans les mains. Le  propane sous pression s’échappe de la bouteille et s’enflamme. Il en résulte une flamme d’une quinzaine de pieds de haut qui risque de se propager à son chalet ainsi qu’aux cinq gros pins blancs qui en font le pourtour. Mon oncle vide sans résultat les trois extincteurs portatifs qu’il possédait à son chalet. La seule mesure entreprise avec succès par les quelques pompiers volontaires de la municipalité, a été d’éloigner à l’aide de gaffes, le poêle du chalet et des pins problématiques et de laisser la bouteille se vider. Depuis cet accident, mon oncle s’est acheté un poêle fonctionnant uniquement à la briquette de charbon.

Le but de cette anecdote n’est pas de convaincre qu’il ne faut plus utiliser de poêle au propane, mais bien qu’il ne faut jamais forcer la valve principale d’une bouteille de gaz et qu’il faut bien connaître les risques et mesures de précaution lorsqu’on utilise ce type d’équipement.

3. Risque d’anoxie :

Autre type de risque qui peut potentiellement se produire dans les endroits clos ou mal aérés, et ce, même avec les gaz dits inertes tels que l’argon, l’hélium, l’azote, etc., est le risque d’asphyxie par appauvrissement de la concentration d’oxygène.

En effet, suite à une fuite ou pour autre raison, au fur et à mesure que la concentration en gaz augmente dans un endroit clos ou mal aéré, la concentration en oxygène va diminuer et peut atteindre une concentration dangereuse pour la santé. Selon la concentration atteinte, l’inconscience et le décès peuvent survenir en quelques minutes.

Les liquides cryogéniques peuvent également présenter ce type de risque lors de fuite ou de leur utilisation dans les endroits clos ou mal aéré.

Si bien qu’une nouvelle classe de danger, inexistante dans le SIMDUT 1988, s’est ajoutée dans le SIMDUT 2015 pour informer et tenir compte de ce type de danger. Cette nouvelle classe de danger nommée « Asphyxiant simple » fera l’objet de la prochaine chronique chimique.

4. Gaz sous pression : Résumé des principaux risques

  1. Risques d'in­cen­die, d'ex­plo­sion ou de pro­jec­tion dan­ge­reuse des bouteilles, en cas de bris de la valve princi­pale ou déten­deur, de fuite, ou en présence de sour­ces de cha­leur ou d'ignition.
  1. Risques de re­tours de flam­mes lors de l'utili­sa­tion ou de fuite de gaz inflammables.
  1. Risques d'ex­posi­tion à des gaz toxi­ques ou cor­ro­sifs.
  1. Risques d'asphyxie en cas d’utilisation ou de fuite en milieu clos ou peu ventilé.
  1. Risques de brûlures thermiques dues aux basses températures des liquides cryogéniques.
  1. Risques de fragilisation, d’éclatement et de projection des contenants ou d’équipement, en raison des basses températures des liquides cryogéniques et des pressions élevées qui peuvent être générées.

5. Gaz sous pression : Résumé des mesures de précaution

  1. Utiliser ce type de produit qu’à condition d’avoir reçu la formation adéquate (risques, mesures de précaution, procédures d’urgence).
  2. Ne jamais se fier sur la couleur de la bouteille pour en identifier le contenu. S’assurer que la bouteille est bien identifiée à l’aide d’une étiquette conforme.
  3. Lors de la réception des bouteilles, refuser et retourner les bouteilles :
    1. Dont le contenu n’est pas clairement identifié par une étiquette conforme.
    2. Dont la valve est coincée ou difficile à ouvrir.
    3. Qui présente des signes d’usure ou de défectuosités (si la pression de sortie ou l'aiguille du manomètre continue à monter lorsque la valve en aval est fermée, ou si l'aiguille du manomètre ne bouge pas lors de l'ouverture ou de la fermeture de la pression).
  1. Toujours penser à protéger la valve principale et le détendeur, composantes fragiles d'une bouteille de gaz.
  2. Ne jamais cogner ou forcer une valve d'une bou­teille de gaz  qui se se­rait coin­cée, avertir le four­nisseur et lui retourner la bouteille.
  3. Ne jamais huiler, graisser, nettoyer à l'aide de sol­vants les valves et les rac­cords des bou­teilles de gaz. Au besoin, utiliser les produits recommandés par votre fournisseur.
  4. Toujours utiliser le matériel (type de dé­ten­deur, tubu­lures) appro­prié au type de gaz utili­sé.
  5. Enlever le chapeau protecteur uniquement lorsque la bouteille est fermement fixée ou attachée.
  6. Utiliser dans des endroits bien aérés, loin des sources de chaleur et d'ignition.
  7. Prendre l'habi­tude de vérifier s'il y a pré­sence de subs­tances in­compa­tibles à proxi­mité du gaz utili­sé.
  8. Particulièrement pour les gaz conservés sous forme liquéfiée ou dissous dans un solvant liquide, toujours mainte­nir en posi­tion verticale et ferme­ment fixées les bou­teil­les (même vides) lors du trans­port, de l'entre­posage, de l'utilisation. Si la bou­teille a été pen­chée ou cou­chée, atten­dre au moins trente minu­tes après l'avoir remise en posi­tion verticale avant d'utili­ser. En cas de doute, vérifier avec votre fournisseur.
  9. Ne pas vider complètement les bou­teilles, y laisser une pression résiduelle. Enle­ver le déten­deur, remettre le capu­chon de pro­tection et iden­tifier clai­re­ment la bouteille comme étant vide.
  10. Même si la bouteille est considérée comme vide, toujours s’assurer que la valve principale est bien fermée. Sinon il y a risque que le gaz résiduel de la bouteille s’échappe ou que l’air extérieur pénètre et contamine la bouteille.
  11. Transporter les bouteilles, en posi­tion verti­cale, fixées à un chariot conçu à cette fin muni de son capu­chon de pro­tec­tion.
  12. Ne pas soulever ou tirer une bouteille par son capuchon protecteur.
  13. Toujours avoir à proximité les équipe­ments d'in­ter­vention et de protection ap­propriés.
  14. Toujours porter une protection oculaire lors de l'utili­sation de gaz sous pression.
  15. En raison des fortes pressions, ne jamais diriger sur soi un jet de gaz même si celui-ci est classé comme non toxique (air comprimé, oxygène, etc.).
  16. Pour éviter des frais inutiles d’élimination, prendre l’habitude lorsque possible de louer les bouteilles plutôt que de les acheter.
  1. Lors de l’entreposage, entreposer les bouteilles :
    1. En position verticale, équipées de leur chapeau de protection et fermement fixées dans un endroit frais, bien ventilé ou aéré loin de toutes sources de chaleur.
    2. En effectuant la ségrégation des bouteilles en fonction des différentes classes de danger SIMDUT (comburants, inflammables, etc.) pour tenir compte des incompatibilités.
    3. En séparant les bouteilles vides de celles pleines.
    4. En assurant une période de rotation courte des bouteilles en prenant l'habitude d'utiliser le format de bouteille minimum nécessaire pour l'usage désiré.
    5. En vérifiant auprès de votre fournisseur en cas de doute (ségrégation, disposition, risque, etc.).
Note :
Selon les types de gaz et les quantités à entreposer, des exigences réglementaires (Code national de prévention des incendies, Code du bâtiment, etc.) peuvent s’appliquer.
  1.  Lors du transport des bouteilles dans un véhicule :
  1. Les bouteilles doivent être bien fixées à l’aide de courroies ou de support
  1. S’assurer que la valve principale et autres robinets sont bien fermés, et ce, même si la bouteille est considérée comme étant vide.
  1. Débrancher les accessoires ou autres équipements reliés aux bouteilles.
  1. Toujours placer les bouteilles dans un endroit du véhicule bien ventilé ou aéré.
  1. À moins que le véhicule soit ventilé de façon permanente, ne jamais laisser les bouteilles dans le véhicule sur de longues périodes. Porter une attention particulière aux véhicules de service qui contiennent des bouteilles de gaz et qui sont stationnés pour la fin de semaine ou pour de plus longues périodes. En effet, le faible volume de l’habitacle du véhicule fera en sorte que la moindre fuite de gaz en raison d’une mauvaise fermeture de la valve ou en raison du gaz qui s’échapperait des accessoires risquera d’atteindre le seuil minimal d’inflammabilité et/ou d’explosivité s’il s’agit d’un gaz inflammable ou une concentration dangereuse pour la santé s’il s’agit d’un gaz toxique. À titre d’exemple,  voir ce lien décrivant une explosion un lundi matin dans un véhicule de service d’une entreprise en bâtiment survenu simplement parce qu’un employé a actionné la télécommande pour l’ouverture des portes du véhicule.
Note :
Selon le type de gaz et les quantités, leur transport dans un véhicule peut être soumis à des exigences règlementaires (plaques, manifeste de transport, formation, etc.)
Liquides cryogéniques :
  1. Ne pas utiliser sans avoir reçu une formation adéquate (risques, précautions, urgences) pour ce type de produit.
  1. Éviter tout contact direct avec la peau et les yeux. Toujours porter minimalement des lunettes de protection (idéalement un écran facial) lors de l’utilisation d’un liquide cryogénique.
  1. Porter des vêtements qui protègent la peau (pantalons, manches longues, sarrau, etc.) et ignifuge lorsque requis (oxygène liquide, air liquide, etc.).
  1. Enlever immédiatement tout vêtement contaminé ou aspergé.
  1. Ne jamais utiliser les liquides cryogéniques dans des endroits clos et/ou mal ventilés.
  1. Utiliser dans des contenants conçus à cette fin munis de dispositif de sécurité approprié.
  1. Lors de l’immersion d’un objet dans un liquide cryogénique, en le manipulant à l’aide de pinces appropriées toujours plonger l’objet lentement dans le liquide.
  1. Lors de transfert de liquides cryogéniques, utiliser un dispositif de remplissage approprié dont le matériau est compatible au liquide transféré.
  1. Avant le transfert, lorsque possible, refroidir préalablement le contenant dans lequel le liquide cryogénique sera transféré. Toujours verser lentement le liquide cryogénique transféré.

6. Pour en savoir plus :

Voir les liens suivants du Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail pour une information détaillée sur les caractéristiques et précautions concernant les Liquides cryogéniques et les Gaz sous pression.
 
La section X (articles 70 à 100) du Règlement sur la santé et la sécurité du travail pour connaître certaines exigences québécoises sur la manutention et l’entreposage des matières dangereuses.
 
Prochain bulletin Véga – SIMDUT :
Le prochain bulletin traitera plus spécifiquement des risques et précautions concernant les asphyxiants simples.
 
Chimiquement vôtre
Serge Pelletier
B.Sc.chimie    M.Sc. environnement